La Muette au Moyen-âge

Un peu à l’écart de l’agglomération du village, La Muette domine de façon assez abrupte la petite vallée du Ru des Cotillons qui va se jeter dans l’Automne.

Cette position facile à défendre explique l’établissement en ce lieu d’une maison fortifiée au Moyen-Age. Hubert de La Muette figure en raison de ce fief dans une des enquêtes du roi Philippe Auguste. Les Seigneurs de Vez, désireux de contrôler les diverses voies d’accès permettant d’atteindre le château de Vez, devaient naturellement s’efforcer de posséder La Muette ; ils en avaient le fief au XIVème siècle, ainsi que nous le prouvent les actes d’aveu faits successivement pour La Muette, à Jean de Douy, seigneur de Vaumoise, par Jean de Vez et de Descuerdes le 27 décembre 1395, puis, le 1er juillet 1399, par sa veuve Marie Torote « tant en son nom que pour Jehanne de Vez demoiselle notre « fille et de notre très cher seigneur et mari Jehan, jadis sire de Vez et de Descuerdes, chevalier que Dieu pardoint ». A la fin du XVème siècle, La Muette ne figure plus dans les actes concernant les Seigneurs de Vez et était possédée par les de Vienne, seigneurs de Brangé.

Il nous est difficile de préciser l’endroit exact où se trouvaient les constructions du Moyen-Âge ; elles devaient normalement être situées à l’endroit le plus escarpé qui domine le début du vallon et il est probable qu’une partie des anciens murs a servi plus tard à l’aménagement de la grande terrasse, d’autant que, sur une certaine longueur, on a accolé à un épais mur ancien, un revêtement en appareil de grandes pierres taillées.

Les Longueval, possesseurs de La Muette au XVIe siècle

C’est du XVIème siècle que date une grande partie des constructions actuelles de La Muette ainsi que l’aménagement de la terrasse, et ce fut l’œuvre des Longueval.

Jacques de Longueval fut capitaine des chasses de la Forêt de Villers-Cotterêts, lors de la création, en 1515, de cette capitainerie qui se trouve ainsi plus ancienne que celle de Compiègne. On trouve sur le vitrail de l’Eglise Notre-Dame de la Ferté-Milon, l’inscription suivante : « Jehanne de Rubempré, dame de Bonneval, veufve de Messire Jacques de Longueval, bastard de Vendosme, en lui vivant chambrelai du Roi, gouverneur de Vallois, capitaine d’Arques, bailly de Vermandois, donna cette verrière en l’an mil cinq cent XXVIII ». On pourrait donc croire que nous avons ainsi un portrait de Jacques de Longueval ; mais comme l’a montré l’abbé Félix Dévigne, ce vitrail concerne Jacques de Bourbon, bâtard de Vendôme, qui n’avait ni les mêmes armes, ni la même femme, ni le même nombre d’enfants, ni les mêmes fonctions que Jacques de Longueval. Comme une partie de l’inscription de ce vitrail avait été détruite, elle fut reconstituée tardivement en confondant deux personnages différents. Il manquait un nom entre les mots Jacques et bâtard de Vendôme. On crut bien faire en inscrivant Longueval au lieu de Bourbon.

Jehan de Longueval succéda à son père dans la capitainerie des chasses. Il était en même temps « concierge et gouverneur du chastel et du bourg de Villers-Cotterêts », ainsi que nous le précisent de curieuses ordonnances qu’il dut prendre en 1564 et 1565, à l’égard des bouchers de la ville.

C’est lui qui, en 1560, donna à l’église de Villers-Cotterêts une cloche nommée Jehanne, sur laquelle figure toujours l’inscription suivante : « Jehan de Longueval pour lors chevalier et escuyer trenchant ordinaire du trescrestien Roy Henry deuxiesme du nom et depuis du Roy François son filz et cappne de celieu de Villers et de la forest de Rest ma levée et nommée Jeanne le XXVe jour dapvril en lan mil Ve soixante Dieu lui vueille octroyer sa miséricorde».

Jehan de Longueval était, nous l’avons vu, un personnage assez important puisque, le 15 octobre 1555, le Président Séguier et le Conseiller Dudrac, délégués par le Parlement de Paris envers le Roi qui séjournait alors à Villers-Cotterêts, firent « visites à quelques seigneurs des environs, notamment au seigneur de La Muette de Largny et au seigneur Desgrigny, de Coulioles en Valois », avant de se présenter au Roi pour lui exposer les raisons du refus du Parlement d’enregistrer les édits relatifs aux juridictions chargées de juger les procès d’hérésie.

Jehan de Longueval fut enterré dans l’église de Villers-Cotterêts. Son monument qui le représentait à genoux, en prières, a été détruit à la Révolution, mais il nous en reste une gravure du XVIIIème siècle dans le recueil de Tavernier (Voyage pittoresque de la France 1789). Nous pouvons ainsi évoquer la physionomie de cet homme un peu corpulent dont le costume, ainsi que la petite barbe en pointe, reflètent la fin du XVIème siècle.

On retrouve, au surplus, les armes de Jacques de Longueval, à la clef de voûte de la chapelle où était placé son tombeau dans l’église de Villers-Cotterêts, à divers endroits de l’église de Chavres, dont il avait acquis la terre en 1569, ainsi qu’aux clefs de voûte de la salle capitulaire qui subsiste à côté de l’ancienne église de l’Abbaye de Longpré.

A la mort de Jehan de Longueval, en 1583, La Muette passa à Françoise de Longueval, épouse de René de Blazan, tandis que la charge de capitaine des chasses passait à son fils aîné, Charles de Longueval ; Philippe de Longueval, seigneur de Cramailles lui succéda dans ces fonctions jusqu’à sa mort en 1620. La Maison d’Estrées entra ensuite en possession de la capitainerie qui passa au XVIIIème siècle au Marquis de Barbançon. Nous devons aux Longueval la construction, à La Muette, de la tour carrée, d’une partie du logis principal, des terrasses et de la petite tour de guet qui surplombe la vallée de l’Automne.

Les Marquis de Condren, possesseurs de La Muette de 1589 à 1793

Guillaume de Condren, dont nous avons déjà parlé dans l’histoire du village, devint possesseur de La Muette dès 1589, vraisemblablement en raison des liens de famille qui existaient entre les Longueval et les Condren, du fait de leur alliance avec la famille Le Haste ; Guillaume de Condren avait en effet épousé Marguerite Le Haste, alors que la femme de Jehan de Longueval était également une Le Haste.

L’histoire de la famille de Condren à Largny fait l’objet d’un chapitre spécial, il convient seulement de noter ici que si Guillaume de Condren vécut surtout au château de Montceaux dont il fut gouverneur, ses descendants s’établirent et résidèrent à La Muette ; c’est là que naquirent les enfants d’Alexandre de Condren, puis ceux de François Joseph, et enfin le fils de Louis Joseph ; c’est là que certains se marièrent et que nombre d’entre eux terminèrent leur vie ; c’est au surplus à côté de La Muette qu’eurent lieu les pittoresques aventures de la Marquise braconnière.

Les Condren apportèrent à l’ensemble des constructions de La Muette, faites par les Longueval, d’importantes modifications. Carlier écrit, en effet, en 1764, « que le château de La Muette vient d’être rebâti à neuf ». Il semble qu’il s’agisse surtout de remaniements intérieurs, comme en témoigne la présence de cheminées du XVIIIème siècle.

Vente de La Muette en 1793

Les conditions de cette vente sont assez émouvantes : le dernier des Condren possesseurs de La Muette, Antoine Charles, était né dans cette demeure en 1763. Il y vécut jusqu’aux premières années de la Révolution et y eut même, en 1790 et 1791, deux enfants naturels, qu’il reconnaîtra plus tard. Mais la fortune familiale avait été dilapidée. Encore mineur, Antoine Charles de Condren avait été obligé de renoncer à la succession paternelle ; il lui fallait maintenant désintéresser les créanciers. Après quelques mois passés à Paris, il revint à Largny pour vendre La Muette et ses derniers biens ; la réglementation concernant les déplacements des anciens nobles était particulièrement rigoureuse et nous trouvons dans les registres du Conseil Général de la commune de Largny, le texte adressé à ce sujet le 19 floréal an II au Comité de Salut Public et de Sûreté Générale « Citoyens, en exécution du décret du 27 germinal dernier, le citoyen Condren Suzanne a quitté Paris et est venu se retirer dans cette commune où ses ancêtres étaient connus comme nobles et où lui-même a été élevé. Il a fait enregistrer en arrivant son ordre de passe au greffe de cette municipalité. Nous lui avons fait lecture du décret qui le concerne et des obligations qu’il lui impose ; il nous a témoigné la plus grande résignation à s’y conformer et il s’est retiré de suite dans une maison isolée de cette commune où il mène une vie tranquille et pauvre, conformément à sa fortune et avons signé cette lettre, Conseil maire – Fournier officier…»

C’est le 2 juillet 1793, qu’Antoine Charles Louis Condren Suzanne, citoyen demeurant à Largny, vendit « une maison formant autrefois le château ou principal manoir du ci-devant fief de La Muette, sis dans la commune de Largny ». Il vendit en même temps quelques terres qui lui restaient pour le prix global de 10.000 livres dont 3.000 en compensation de dettes, 2.000 payés comptant et 5.000 en assignats ; il ne devait ainsi rien rester de la grande fortune passée des Condren. Le vendeur s’était toutefois réservé la jouissance pendant sa vie d’un pavillon carré et d’un jardin comprenant environ un quartier de terre ; mais il ne semble pas qu’Antoine Charles de Condren, qui quitta Largny après cette vente, y soit jamais revenu.

La Muette au XIXe siècle

Ce qui restait de La Muette avait été acheté par Jacques Conseil, maire de Largny, qui avait avancé auparavant, comme nous l’avons vu, certaines sommes au Marquis de Condren et dont nous avons retracé la vie ainsi que les pittoresques rapports avec son neveu Alexandre Dumas, dans le chapitre concernant l’histoire du village. L’Abbé Conseil légua sa maison à Mme de Ryon qui la vendit dès 1819. La Muette se trouva morcelée en un grand nombre de parcelles ; les bâtiments de l’ancienne cour avaient été vendus par morceaux ; la maison principale vendue en deux tronçons. Voilà ce qu’était devenu le vieux fief au moment de la Révolution. Les bâtiments furent utilisés à des fins les plus diverses, la salle voûtée du logis principal transformée en fromagerie, tandis que la pièce voisine servait d’écurie.

L’Abbé Cholet, dans son « Serment mal gardé » nous fait la description de l’état lamentable dans lequel était La Muette en 1853. Il faut d’ailleurs reconnaître que cette description parait un peu romancée, ne serait-ce qu’en ce qui concerne le paysage : « Largny présente aux regards un vieux castel délabré, flanqué de tours également en ruines, avec des donjons entr’ouverts qui n’ont plus rien de la mine ni de la fierté féodale. Ce qui avait appartenu autrefois à quelque haut et puissant seigneur, Monsieur le Marquis de Condren, est devenu la propriété modeste de plusieurs petits particuliers. Mais on trouve toujours là une superbe vue qui s’étend au loin sur des montagnes arides, sur des côtes brûlées par les ardeurs du soleil, sur des roches hérissées. La Tour de Vez laisse apercevoir sa tête altière et domine toutes ces collines ; le moulin de Wallu cache la sienne dans l’étang et reste silencieux. »

A partir de 1862, la famille Mongin-Dufourny s’efforça de reconstituer pour partie l’ancien domaine de La Muette par l’achat du corps de logis principal d’abord. La tour carrée, et le jardin y attenant, fut réunie au reste de la maison en 1910 seulement, ce qui explique l’existence de deux escaliers intérieurs. M. Elie Mongin, qui fut maire de Largny, s’était efforcé en même temps d’améliorer la situation du village et c’est à lui que l’on doit l’aménagement de la distribution d’eau.

Les bâtiments de La Muette subirent d’importantes transformations à la fin du XIXème siècle, de façon à rendre utilisable ce qui en restait ; on peut déplorer la disparition après 1872 du grand pignon du XVIème siècle du logis principal dont la façade ouest a désormais un aspect moins pittoresque mais toutefois paisible. La famille Moreau-Néret, qui a succédé aux Mongin, s’est efforcée de réparer les conséquences des dégâts dus aux guerres, d’aménager le parterre en reprenant d’anciens thèmes de jardins de buis, et de reconstituer les perspectives.

Les bâtiments

L’ancien domaine de La Muette correspondait à l’écart qui porte toujours ce nom. A l’entrée, au niveau du lavoir municipal se trouvait un petit pavillon carré, aujourd’hui en ruines ; une allée, dénommée actuellement, sur le cadastre, chemin du château, conduisait à la cour centrale entourée de bâtiments d’exploitation ; cette allée était encore bordée d’arbres en 1793 ; l’ensemble était fermé de murs qui subsistent et sur lesquels on retrouve parfois, gravée grossièrement à même les pierres de chaînage, la silhouette de certains de ceux qui travaillaient aux champs, en costume du XVIIème siècle.

Il reste quelques éléments des anciens bâtiments d’exploitation situés au nord de ce chemin d’accès, mélangés à d’autres constructions plus récentes, notamment le pigeonnier carré, avec toit à grande pente, de la fin du XVIème siècle, et quelques colonnes encastrées dans un mur.

De l’autre côté du chemin, la grande tour carrée, qui fait partie de l’habitation et dont les pièces du rez-de-chaussée et du premier étage sont voûtées en pierre, correspond à l’époque des Longueval ; cette tour est surmontée d’une haute cheminée en pierres et briques ; les marques de la charpente primitive nous montrent que la haute toiture avait exactement le même angle que celle du pavillon Henri II du château de Villers-Cotterêts ; nous retrouvons d’ailleurs des constructions du même genre à la même époque, au château de Coeuvres.

Une partie du corps de logis accolé à cette tour, qui comporte également une salle voûtée en pierre, date aussi du XVIème siècle ; un dessin, conservé à la Société Historique de Villers-Cotterêts et daté de 1872, nous montre que ce logis avait alors un toit à pignon qui ne fut démoli qu’à la fin du XIXème siècle, tout en laissant une cheminée en pierres désormais abaissée.

On doit dater également du XVIème siècle, la petite tour carrée qui surplombe la route de la vallée de l’Automne d’une grande hauteur, en raison de l’existence de meurtrières à mousquets. Celles-ci comportent, à l’intérieur du mur, d’étroites chambres rondes, destinées à empêcher que la fumée de la poudre ne revienne sur les tireurs ; l’évolution de ces armes à feu permit de ne plus avoir recours à ce genre de précautions dès la fin du XVIème siècle,

L’élément le plus intact des constructions des Longueval, est la grande terrasse qui domine la vallée. Sa forme et la décoration des pilastres peuvent la faire dater d’une période allant environ de 1540 à 1580. Certains présument que ces pilastres servaient en matière de fauconnerie ; la fauconnerie du Roi était d’ailleurs située au village d’Haramont où Louis XII avait installé sa volière au hameau de la Selve ; en 1562, le maître fauconnier était Jean de La Fontaine, que l’on pense être de la famille de l’illustre fabuliste.

Légèrement décalée par rapport à cette terrasse à pilastres, s’en trouve une autre qui lui fait suite et domine également la vallée. Elle est faite en pierres de grand appareil, derrière lesquelles se trouve un mur plus ancien, correspondant peut-être à un des éléments de défense primitifs. On y retrouve un motif en cordon de pierre analogue à celui du château de Muret, non loin de Soissons.

Le grand portail qui donne sur les champs est sans doute du XIVème siècle, du moins en ce qui concerne les grands piliers et leurs pots à feu. Il parait aujourd’hui étrange d’aboutir ainsi en pleine nature ; mais La Muette fut au temps des Longueval liée à la Capitainerie des chasses et il fallait que la meute, en sortant, garde son flair intact.